S’il est normal de placer dans son giron de pouvoir ceux qui pensent de notre bord, cela ne signifie pas pour autant que nous devions accepter des gens prêts à désintégrer le prestige associé à nos élus, celui qui provient directement de la noble fonction de servir les intérêts du peuple avant les nôtres ou ceux des amis du parti. De surcroit, lorsque des élus s’excusent d’avoir agi sans éthique, sous prétexte qu’ils ignoraient devoir se conformer à de tels principes, nous pouvons parler de culture générale de corruption dans les mœurs.

Ainsi, lorsqu’on voit M. Couillard utiliser son titre de ministre pour se trouver un emploi privilégié en prévision de quitter sa fonction, il y a un manquement flagrant à l’éthique. Chaque petite bévue d’élus est une trahison de plus et une contribution directe au cynisme. Or non seulement M. Couillard ne voit pas de faute à changer les règles du jeu pendant qu’il était ministre pour se favoriser dans une demande d’emploi, mais il voit également d’un bon œil le retour au bercail de l’ancienne ministre Normandeau, qui a également manqué à l’éthique en ne respectant pas le devoir de réserve imposé par ses fonctions. Lorsqu’il devient normal de faire passer ses intérêts personnels avant ceux du peuple, les élus ne méritent pas notre confiance.

En revanche, lorsque le PQ s’en prend à directement à M. Couillard, il fait fausse route. Visiblement installée dans les mœurs de milliers de gens, directement concernés ou non (la femme de l’élu, l’ami de, l’entreprise donatrice, l’employé de…), la corruption n’a pas de visage. Mais, c’est bel et bien le manque d’éthique des dirigeants (élus, présidents, pdg) qui favorise le crime en tant que système, nommément le crime organisé au sein de l’État. Ainsi, le PQ devrait s’attaquer au système plutôt que d’accuser des individus.

Si la culture de la corruption n’a pas de visage, au final, le criminel écope pour tous les élus et fonctionnaires complices du crime en ayant accepté de vivre dans cette culture et de l’entretenir. Cette complicité tacite et impunie dans notre système légal produit le plus de morosité chez les citoyens.

Comment le gouvernement peut-il le mieux gérer un ennemi invisible caché dans un système de valeurs tordues et prises pour moralement acceptables ? En changeant la culture. Mais il faut aussi changer celle des électeurs.

Changer la culture, c’est changer une croyance

Lorsque nous doutons de notre vision à long terme (intangible), c’est que nous perdons contact avec notre identité. Subséquemment, nous sommes portés à nous replier sur des projets qui nous donneront un pouvoir immédiat sur l’environnement matériel, le court terme. Ainsi, le rejet, le déni ou la méconnaissance de notre identité, nous confine à la quête du pouvoir d’achat plutôt que du soi et ultimement peut conduire à : acheter le confort, la paix, l’amour, des votes, l’argent, l’élu, un territoire, un contrat, voire un gouvernement. Voilà une belle intégration des valeurs culturelles néolibérales : le devoir du citoyen est remplacé par les besoins du consommateur, le mérite de l’individu est remplacé par le pouvoir de l’argent.

Cette culture néolibérale, tant prodiguée par le gouvernement Charest, conduit les élus à bouder le long terme, à traiter l’État comme un consommateur actif sur le marché mondial et à diriger dans un esprit clientéliste plutôt que de rassembler la fibre citoyenne autour de la nation. Dans une société d’immigration, ce projet néolibéral permet aux élus d’outrepasser les problèmes d’intégration identitaire. Mais cette vision de court-terme à l’échelle nationale achève de mettre la table à la culture du chacun pour soi comme seul modèle : faire passer ses intérêts d’abord devient un projet naturel au sein de l’État et personne ne le remet en question. Le parti libéral l’a maintes fois démontré sous Charest et semble vouloir perpétuer cette logique sans même s’apercevoir des ravages qu’elle produit. Et le PQ ne trouve pas la force de nous sortir des crocs du néolibéralisme.

La lutte au court terme

Pourquoi en sommes-nous arrivés à ce manque de vision à long terme ? Sur le plan mondial, la pensée néolibérale a rogné les souverainetés nationales au profit du corporatif, faisant des gouvernements des gérants de nos impôts dorénavant drainés vers le marché mondialisé de l’économie. Lorsque la souveraineté des peuples est réduite à une opération strictement comptable et que leurs élus ne protègent pas leurs frontières contre des intérêts extérieurs à court-terme, le tissu social s’effrite, générant des crises. Sans identité nationale, pas de cohésion sociale.

Nous avons pu témoigner sous le gouvernement Charest des nombreuses crises qu’il a suscitées en divisant constamment la société, c’est-à-dire en charcutant son identité, comme un prédateur brise en deux sa proie. Aucun gouvernement avant celui-là n’avait appuyé si fort sur la vision du court-terme, déterminé à faire douter le peuple de ses valeurs. Le printemps érable fut la réponse normale d’un peuple qui se sent dépossédé de son identité et qui ne peut plus se défendre : la perte de sens qui découle du manque d’identité nous coupe d’arguments pour justifier le désir d’intégrité face à qui nous sommes. Ainsi on en arrive collectivement à donner raison à un discours strictement comptable et juridique, et nous acceptons la dissolution de nos valeurs culturelles longuement élaborées. Le chacun pour soi corrompt la nation et la tue. Gracieuseté de nos chartes des droits et libertés individuelles, doublées de la pensée néolibérale.

Nos jeunes nous ont rappelé que ce qui est à portée de vue ne nous mène jamais loin ni en terme de sécurité sociale ni en terme d’épanouissement. Relever des défis exclusivement économiques, c’est ne se préoccuper que du court terme et exprime l’incapacité de rêver, de se renouveler, ou la crainte de le faire ou d’échouer. Ainsi nous mourons sans le ressentir car l’arrêt du rêve est compensé par des gains à court terme. Nous sombrons alors dans une spirale vers le bas ou dépression, qui nous force à accélérer la consommation de biens à court terme afin de combler le déficit d’esprit porteur du long terme. Ainsi nos sociétés acceptent de mourir à leur identité et à servir le désir pauvre d’accumuler des biens.

Il faudra bien apprendre à gérer la dépression qui découlera de cette prise de conscience collective : de crise économique en crise sociale, nous nous dirigeons vers un mur. Lorsqu’on est ainsi aspiré par un gouffre financier collectif, anonyme, on est prêt parfois à céder nos valeurs pour un intérêt à court terme qui apparemment nous sauve la peau ou élève notre prestige. Mais à long terme, lorsque nous cédons notre intégrité, cela génère une angoisse permanente qui nous fait toujours prendre la même décision : cesser de rêver. La corruption devient alors une habitude très pratique. Plus les gouvernements nous enliserons dans cette dynamique du court-terme, plus les peuples se soulèveront, à moins que les élus ne redeviennent capables de dessiner le même rêve que lui. Mais qu’est-ce que rêver ?