Texte paru dans Le Devoir, 20 juin 2017 |Marie-Lise Rousseau

Au lendemain des élections législatives françaises, où un taux record d’abstention de 57 % a été enregistré, l’écrivain et militant Alexandre Jardin veut plus que jamais redonner le goût aux citoyens de s’engager afin de créer une société plus heureuse.

Les propos de M. Jardin sur l’importance de la participation citoyenne et de la démocratie à échelle humaine prennent tout leur sens lorsqu’on le voit réagir à une vidéo publiée sur le compte Twitter de l’émission française Quotidien. Dans cette vidéo, un journaliste demande au nouveau président de la République, Emmanuel Macron, en pleine balade à vélo, comment il explique ce record d’abstentionnisme. « Si ça n’a pas voté, c’est que beaucoup d’autres

[candidats] n’ont pas mobilisé [leur électorat] », répond-il.

Après avoir critiqué pendant près d’une heure le système politique « technocratique » français et son nouveau représentant en la personne de Macron, l’auteur des romans Le Zèbre, Fanfan et Les Coloriés, pour ne nommer que ceux-là,s’exclame : « C’est hallucinant ! »

« Il devrait dire : “Nous avons un problème !”, il devrait ouvrir un chantier, des forums. Là il répond : “Ce n’est pas mon problème”. Si, comme chef d’État, je me retrouvais avec un pays aussi peu mobilisé, ce serait ma première obligation ! Il est censé être le garant de notre démocratie ! » s’indigne avec passion l’écrivain aux tempes grisonnantes et au regard perçant.

Quelques minutes avant de prendre connaissance de cette vidéo, Jardin dénonçait en entrevue avec Le Devoir le « vieux » système qui a permis à Macron d’obtenir une majorité absolue avec seulement 15 % des votes. « Maintenant qu’il est parvenu au pouvoir, il va le garder, pas le donner », prévient celui qui a déposé un bulletin de vote blanc dans l’urne. À son avis, l’arrivée de nouveaux visages issus du récent parti La République en marche ! correspond simplement à « un nouveau casting ». « Les têtes ont bougé, mais la règle du jeu n’a pas bougé », juge-t-il.

Ça lui donne plutôt une impression de déjà-vu. « C’est arrivé en 2007 avec l’élection de [Nicolas] Sarkozy. Nous avions un petit Jupiter qui surgissait, qui avait la confiance du peuple, qui s’est empressé de ne rien faire dans un système autobloquant, qui a d’ailleurs été viré pour ça. Ce qui est en train de se produire y ressemble fort. D’ailleurs, Sarkozy a eu cette phrase terrifiante : “Macron c’est moi, en mieux”. »

Participation citoyenne

Au coeur de la démarche politique d’Alexandre Jardin se trouve la notion de participation citoyenne. Il était d’ailleurs de passage à Montréal dans le cadre de la 17e Conférence de l’observatoire international de la démocratie participative, qui s’est terminée lundi. « Si on veut que les gens existent pendant la durée des mandats, et non une fois tous les cinq ans, il faut qu’ils soient acteurs, qu’ils construisent les solutions, de manière à ce qu’on ne se retrouve pas avec des pays spectateurs d’eux-mêmes », soutient-il.

En prenant exemple sur les États-Unis, l’écrivain militant souligne que l’ère Obama, malgré toutes ses promesses de changement porteuses d’espoir, « n’a rien changé aux règles de la participation citoyenne ». Parmi toutes les inquiétudes que suscite la présence de Donald Trump à la tête du pays, Alexandre Jardin s’inquiète d’abord du fait que ses électeurs ont voulu qu’un « homme providentiel les sauve », sans devenir eux-mêmes acteurs du changement.

Au coeur des mouvements Bleu Blanc Zèbre et la Maison des citoyens, qu’a initiés l’écrivain ces dernières années, il y a l’idée de donner du pouvoir aux citoyens, afin de leur permettre d’exister, un mot qu’il répète plusieurs fois en entrevue.

Il donne en exemple le programme Lire et faire lire, dont il est l’instigateur, et qui consiste à jumeler des personnes retraitées avec des écoliers pour améliorer leurs compétences de lecture. « Si on arrive à mettre des dizaines de milliers de retraités dans nos maternelles et nos écoles, les gens vont exister. Ils vont avoir un rôle, c’est hyper concret ! » s’enthousiasme-t-il. Selon lui, cela aurait pour effet de résorber l’échec scolaire, de mieux intégrer les nouveaux arrivants ainsi que de prévenir la violence, « parce que si les jeunes ont plus de vocabulaire, ils auront un autre comportement à l’adolescence », dit-il.

Reste que l’écrivain refuse de jeter le blâme sur les individus qui se sont succédé à la tête du gouvernement au fil des ans. « Je reste persuadé qu’ils n’étaient pas des salauds ou des méchants. Ce sont des gens qui ont été bloqués par des systèmes qui étaient plus puissants. »

Le bonheur de s’engager

Son enthousiasme est débordant, mais Alexandre Jardin est surtout heureux. Parce que la politique lui procure du plaisir. « C’est vraiment jouissif », assure-t-il. Et ce, même s’il n’a pas pu se présenter à la présidentielle française, comme il le souhaitait, faute d’avoir obtenu les 5000 signatures nécessaires pour ce faire. À ce sujet, il y va d’une analogie sportive : « C’est très important de monter sur le ring pour apprendre à boxer, si vous restez sur les gradins, vous n’apprenez pas les règles du jeu », dit-il.

De là à se représenter en 2022, l’auteur répond : « On va voir ». Chose certaine, l’artiste restera aussi engagé, donc aussi heureux, selon ses dires. « Il y a un lien entre l’engagement citoyen et le bonheur, martèle-t-il. Je le vois en discutant avec les gens qui s’impliquent, ils sont tout simplement joyeux. Ce n’est pas un club de neurasthéniques ! » lance-t-il en éclatant de rire.

Ce bonheur ne s’applique toutefois pas au système en place, avance-t-il. « Faire de la politique comme autrefois, c’est super-triste ! », clame-t-il.

« Quand ce sera notre tour d’organiser les choses, nous aurons un peuple turbulent ! lance-t-il dans un énième rire. Parce qu’il ne sera pas forcément d’accord avec tout ce qu’on lui dira, mais il sera vivant. Je préfère avoir un pays vivant ! »