La majorité des territoires souverains furent établis au prix de guerres sanglantes qui ont façonné le visage géopolitique international actuel. Aujourd’hui encore, chez certains peuples, le sentiment d’injustice politique, identitaire et économique est plus qu’un irritant, il est une question de survie. Or, la guerre des territoires dorénavant transposée sur le plan commercial est devenue inodore, incolore, indolore (les conséquences sanguinolentes sont déportées en dehors de chez nous). Lorsque les enjeux deviennent invisibles, lorsque les guerres se jouent sur des transferts de fonds financiers et énergétiques, ceux qui nous dirigent ont loisir de nous mentir sur la marge de manœuvre réelle de défense de la nation.

Si le désir d’indépendance par les armes n’enthousiasme pas nos démocraties, certains votent « non » à l’indépendance, inquiets de perdre la richesse issue d’un dominion associé à la puissance anglaise. C’est le cas chez nous. Pourtant, des ministres s’occupent de livrer en notre nom des batailles commerciales au cours desquelles ils cèdent notre droit fondamental à la sécurité publique sans demander notre avis. C’est le cas dans plus d’un dossier avec le gouvernement fédéral.

La guerre a changé de forme

Le gouvernement fédéral aujourd’hui fait la preuve de son incapacité à résister contre la pression des multinationales exercée sur l’État, pour éviter des poursuites judiciaires (lire cet article ). Des pharmaceutiques commercialisent des médicaments dangereux et le fédéral préfère laisser courir en vente libre ces preneurs de vie plutôt que de sévir. Pourquoi ?

La guerre commerciale a désormais pris la couleur d’une omerta juridique, responsable de tuer ce qui reste de démocratie et de capacité pour nos élus de défendre les intérêts nationaux avant ceux des multinationales. Nous le savons bien au Québec, lorsque l’omertà devient une culture, elle gangrène nos instances gouvernementales et devient une menace pour notre santé publique: routes qui s’écroulent, train d’or noir qui tue un village, explosion des coûts (piso) accroissant notre dette, et ici, médicaments à haut degré de dangerosité dont l’entreprise n’est pas incommodée par une poursuite parce que le gouvernement fédéral refuse de prendre cette responsabilité. Notre système de justice n’a-t-il pas la prétention de protéger le public ?

Lorsque nos premiers ministres cèdent ainsi aux diktats de l’industrie, la démocratie n’a plus cours et nous sommes vulnérables en tant que nation souveraine. Couillard et Harper se plient facilement à cette loi du plus fort en refusant d’y voir une menace à la sécurité de la nation. Les guerres commerciales sont silencieuses, mais elles peuvent aussi tuer et piller. À travers ses élus, le peuple est pris en otage par les forces du marché où toute règle restrictive – souvent nécessaire à l’équilibre – peut être transgressée, déjouée, contournée ou carrément évitée en faisant simplement pression sur un ministre. Si un médicament a été démontré dangereux, mais que le gouvernement ne veut pas sévir contre l’entreprise de peur de poursuites, est-ce à dire que notre justice ne pourra pas gagner la cause ou que nos politiciens subissent de l’intimidation ? Pour survivre à la peur, on décide parfois de traiter comme normal quelque chose qui ne l’est pas. Lorsque ce phénomène d’intimidation corporative sur l’État deviendra une culture (si ce n’est déjà le cas), donc considéré d’usage, qui donc sera en mesure d’assurer une sécurité physique, sociale, environnementale, politique au sein de la nation ?

Cette même tentation à intimider nos instances gouvernementales via notre appareil juridique est déjà inscrite dans le libre-échange avec l’Europe. Le fromage québécois est un très bon exemple des richesses entrepreneuriales à surveiller. Mais quel pouvoir de résistance aurons-nous en tant que province, si même le fédéral craint les multinationales et se plie à leurs ordres ? Comment nos élus sauront-ils nous protéger – juridiquement et politiquement – contre les poursuites indues et le bâillonnement pur et simple? Déjà, le cas de Ristigouche nous en dit long sur les compétences du parti libéral à protéger les intérêts nationaux: le gouvernement Couillard a refusé d’aider la ville à se défendre contre une multinationale. Si plus rien ne peut être défendu sur le plan collectif, que restera-t-il bientôt de l’État-nation?

La conséquence de ces guerres commerciales est, et sera l’appauvrissement de plus en plus criant des peuples au profit de l’enrichissement du fameux 1 %. En effet, la seule arme que nos nations modernes aient pour se défendre dans cette guerre commerciale est un système de justice privilégiant le cas par cas plutôt que le principe. Dans les accords de libre-échange, on permet de poursuivre toutes nos instances comme s’il s’agissait d’une entreprise en concurrence avec le privé, sans égard pour l’équilibre global des peuples. Pourquoi ne pas plutôt préserver, par principe, l’intégrité d’une institution ? Comment pouvons-nous protéger nos intérêts nationaux, nos souverainetés devant les vautours financiers et corporations sauvages, lorsque les élus sont paralysés par l’intimidation juridique du cas par cas ? Comment sortir la démocratie de cette judiciarisation à tout crin ? Car si l’intimidation devient la norme, le 1 % abusera du recours juridique ou de menace de recours pour faire taire les élus, les peuples et les déposséder. La jurisprudence mondiale prise d’assaut par les entreprises encourage la culture du cas par cas, rogne déjà le droit de défendre les intérêts nationaux.

Autre sujet, même enjeu

Devant l’échec de l’État-nation, comment les électeurs d’Écosse et du Québec, qui ont cédé à la peur de briser la puissance d’une nation en scindant un territoire, ne voient-ils pas que cette même force nationale est en voie de disparaitre? Les multinationales n’ont cure de l’état de nos infrastructures, hôpitaux, écoles, routes, programmes sociaux, etc. Dans ce contexte, les constitutions protègent-elles vraiment aujourd’hui les peuples, dès lors que nos premiers ministres privilégient les intérêts industriels multinationaux parce qu’ils les craignent? Où est l’indépendance d’un pays même riche dans ce genre de logique juridique? Pourquoi ne pas rendre criminelle la tentative de subordonner un peuple en soudoyant ses élus? Pourquoi ne pas incriminer l’élu qui refuse de protéger les intérêts du pays d’abord? Toute velléité indépendantiste ou même seulement nationaliste se voit dorénavant verrouillée dès lors que la guerre commerciale peut acheter nos ministres.

Comment alors dynamiser un projet identitaire comme celui de l’indépendance du Québec? Pour réellement (re)gagner une indépendance digne de ce nom, les peuples devront être prêts à voir la question nationale d’abord comme un affront aux multinationales via leur système juridique qui protège par défaut ce même 1 %. Après avoir dompté le loup, peut-être pourront-ils retrouver le courage de rêver leur destin.