Ainsi donc nous reprendrions là où nous avions laissé ? C’était en 1995. Scié par la voix de Jacques Parizeau, « l’argent et des votes ethniques », le peuple s’était depuis lors enfermé dans le mutisme. Que faire d’autre ? Les mots furent puissants. Les maux, tentaculaires. Ce moment historique qui, semble-t-il, nous fut volé par les commandites, love-in et autres scandales antidémocratiques du PLC (l’argent), a causé son lot de blessures, voire de traumatisme. Devant cet ensemble de manœuvres financées par le Dominion, la raison d’être numéro 1 du parti québécois apparut soudain comme un miroir cassé. Notre identité en mille éclats a laissé l’espace public à lui-même où celui qui parle le plus fort a pu prendre la place.

L’argent

 En 20 ans, notre silence a favorisé les forces souterraines de la mafia et le capitalisme sauvage promu à grand coup de manipulation de masse : après les enveloppes brunes du gouvernement Charest, nous voilà maintenant ouverts à la pensée magique de l’austérité du gouvernement Couillard (voir à ce sujet le très bon article de David Sanschagrin). Le PLQ, converti à la religion néolibérale, a fait entrer le loup dans la bergerie.

Sans raison d’être, le parti québécois a atteint le paroxysme de sa névrose sous les feux ambivalents de la dame de béton. C’était un parcours inévitable. On ne peut s’enfermer dans le mutisme pendant 20 ans et croire que nous vibrons à notre identité tandis que l’argent sale et le 1% s’occupent de notre richesse. La grandiose défaite d’avril est l’électrochoc qui nous permet enfin de retrouver le vibrato de notre voix. Enfin. Et à voir le nombre de candidats à la course pour la chefferie, la volonté de vivre est toujours là.

La vraie clarté : briser le silence

Le parti québécois doit maintenant reconstruire sur les bases du 21e siècle et rassembler les éclats de son miroir cassé en mille et une identités. De ces multiples éclats devrait sortir une seule grande fresque. La vraie clarté viendra de cette voix multiple, comme d’une parole juste par ses harmonies. Et depuis la défaite, on entend poindre une seule et même voix au parti québécois : la voix des intérêts du peuple. C’est déjà une première harmonie.

Ce n’est pas une mince affaire de reprendre la parole, de croire en soi après s’être renié si longtemps. Sortir de l’enfermement exige une volonté assez puissante pour briser le mur du silence et de la résignation. C’est à cette tâche que s’est attaqué Jean-François Lisée dont le caractère le désignait tout naturellement à fracasser la cloche de verre du parti, devenue insidieusement confortable depuis 20 ans. Cet automne, il a frappé de toutes ses forces sur la résistance au changement, sur le manque d’intégrité, le sien et celui du parti : il a pioché sur la charte, sur le pétrole et même sur le protégé de Pauline, Pierre-Karl, afin qu’il se présente blanc lui aussi au sein du parti. Y a-t-il d’autres manières de mettre des murs à terre ? Pendant que JFL s’est concentré de l’intérieur à détruire les restes de langue de bois, PKP s’attaque maintenant à l’extérieur, à la tâche incommensurable de soulever le peuple, de le remettre debout vers la marche ultime. Le magazine L’Actualité les plaçait face à face : PKP, le meneur et JFL, le frondeur. Mais c’est unifié que leur grande expérience respective en affaires et en politique donnera le plus de puissance au parti pour qu’il redéploie ses ailes.

Bien sûr, chaque candidat a ses preuves à faire. À l’heure des mises en candidature, on se demande comment PKP peut agir pour le peuple sans conflit d’intérêts après une vie passée à faire fructifier ses propres affaires; comment, de patron considéré antisyndical, il ferait un chef à l’écoute des intérêts du peuple et de la solidarité nationale ; comment sa vision à droite se réconcilierait avec la sociale démocratie que même Pauline Marois avait trahie. Sur le plan de la conviction, JFL devra nous expliquer pourquoi alors ministre, il a obtempéré devant l’idéologie de droite, du pétrole, de l’article 5 de la charte pour revirer aujourd’hui sa veste. Également est-il conscient que choisir de valoriser l’éthique est une responsabilité qui exige 100% de probité et non un gadget pour sauver les apparences ? L’éthique appelle la cohérence. On ne peut pas être à moitié intègre. Mais sur la base de quel principe peut-on l’être à 100% lorsqu’une autre nation nous domine?

JFL/PKP : unifier le Québec

La course au parti québécois a attiré des candidats tous très compétents. Il serait souhaitable que chacun ait l’audace de plaider ses meilleurs arguments afin que chacun en ressorte plus fort et non pas humilié. Mais JFL est le seul candidat qui a le cran voulu pour émuler l’inexpérience politique de PKP et faire de lui un ministrable moins vulnérable. Sans ce duo, la course serait un couronnement. Mais aussi, sans la présence forte de ces deux hommes de caractère, le PQ risque peut-être de ne rallier qu’une partie du Québec.

PKP, c’est les affaires et la culture nationale. JFL, c’est Montréal, près de la moitié du Québec. Montréal c’est aussi, disons-le sans pudeur « le vote ethnique » décriée par Jacques Parizeau. Nous avons mûri, à Montréal. Tous ensemble nous avons fait preuve d’une grande résilience. C’est ça Montréal : la grande métropole du vivre et laisser-vivre. Et aujourd’hui il faut dire à ceux qui se sont fait pointer du doigt qu’ils peuvent faire partie du même projet d’émancipation. Alors, dans ce nouvel éveil national, dans le dégel de la parole du peuple, comment inclure tous les Montréalais, anglophones, allophones et francophones ? Si PKP peut transmettre aux francophones le goût de devenir « propriétaires » de leur territoire, JFL peut nous pourvoir de leviers fondamentaux pour une cohésion entre toutes les communautés. Ainsi les deux hommes ont le profil parfait pour éduquer, stimuler et conduire le peuple vers une réconciliation globale avec sa fière identité métissée d’où naîtrait l’évidence d’un pays.

Souhaitons que l’un et l’autre évitent la rancœur suscitée par les courses à la chefferie dans tout parti. Les militants pourraient alors témoigner d’une course entre beaux joueurs où il n’y a pas un mais des vainqueurs : les Québécois.