Samah Jebbari, porte-parole du Forum musulman canadien met en garde les médias et les Québécois de ne pas instrumentaliser les musulmans afin de ne pas les stigmatiser. Pourtant, depuis la Commission Bouchard-Taylor en 2008 et la Commission sur la charte des valeurs, les Québécois font preuve du désir de réfléchir profondément sur un vivre-ensemble avec les nouvelles vagues d’immigration. Depuis des années, nous tentons collectivement de comprendre comment faire chacun notre bout de chemin. Et nous avons très bien compris aujourd’hui qu’il ne faut pas mélanger les actes terroristes avec la foi extrême de certains musulmans. En d’autres mots, les Québécois savent ne pas faire d’amalgames et si les médias envoient une image que certains groupes de musulmans n’aiment pas, peut-être est-ce à leur tour de se remettre en question et de faire leur ménage.

En effet, comment pouvons-nous savoir, nous qui ne fréquentons pas les mosquées, ce qui s’y passe et ce qu’il faut faire pour aider ? Aussi, comment pouvons-nous croire madame Jebbari qui nous jure qu’une mosquée est un lieu de pureté, alors que des Imams se font les complices de la guerre ? L’État islamique n’est pas le seul propagandiste usant d’âmes perdues. Se sentir exclu d’une société ou s’exclure par refus de changer peut aussi fragiliser le mental humain. Comment savoir si les discours de certains imams contre les chrétiens, contre notre culture démocratique ne sont pas en train d’influencer nos musulmans d’ici pour les opposer à notre liberté humaniste? Voilà la base réelle de l’instrumentalisation: une confusion théopolitique pour imposer la charia à notre démocratie. Les médias ne font que retourner le miroir de la société sur elle-même, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Ce sont les musulmans eux-mêmes qui subissent l’instrumentalisation de laquelle ils savent aujourd’hui qu’ils devraient sortir. Mais comment en sortir sans transformer leur structure culturelle ?

 La nervosité du Forum musulman canadien dans ce qu’il appelle les dérapages des politiciens et des médias (qui pourtant répètent sans cesse de ne pas tomber dans les amalgames) semble justement exprimer la peur des musulmans de devoir changer, de devoir faire à leur tour leur petit bout de chemin. À ce jour, la résistance au changement fut marquée par une demande croissante d’accommodements de plus en plus extrêmes. Aujourd’hui, à l’instar des Québécois floués par leur religion, les musulmans ne peuvent pas toujours déporter ce changement à faire sur la société d’accueil. Ils sont les seuls à pouvoir faire cette mutation de leurs structures intérieures, en leur âme et conscience, les seuls à pouvoir imposer aux leurs un changement de culture adaptée à la démocratie. Ce travail n’a rien à voir avec le terrorisme et le terrorisme ne doit pas détourner l’attention de ce travail que les chrétiens ne peuvent pas faire pour eux.

Une grande majorité de Québécois s’attendent à voir des ajustements. Ils souhaiteraient que les fervents extrêmes réduisent la pression sur nos institutions médicales, politiques, municipales (voir à propos de l’intimidation de certains musulmans). Les pieux excessifs doivent comprendre que soumettre nos chartes aux codes de la charia irrite d’autant que l’État islamiste, qui passe par des mosquées, crée de la confusion entre religieux et politique pour s’opposer à notre démocratie et à notre liberté d’expression.

Ce vivre et laisser-vivre québécois, chacun doit le chérir et le protéger. Chacun doit donc aussi accepter que l’égalité homme-femme, la sécurité et la liberté d’expression au Québec prévalent depuis la Révolution tranquille. Ne pas tenir compte de cette réalité québécoise, y résister, s’y opposer en imposant la charia à nos instances, ne fera que contribuer à accroitre une méfiance réciproque. Il y a des limites à brimer des valeurs fondamentales pour un petit groupe de fervents excessifs, dans une société qui tolère pourtant sans jugement toute forme d’expression, pourvu qu’elle ne soit pas imposée au reste de la communauté. Vivre sa religion chacun pour soi éteindrait la tension.

Sortons de la confusion

J’ai passé plusieurs semaines dans les splendeurs de l’Algérie des années 80. C’était avant le saccage par le Front islamique du salut. Je me suis liée d’amitié avec plusieurs personnes dont un jeune couple libéral, une jeune femme dont la mère, directrice d’école, était ce qu’on appelle maître-femme (monoparentale). Mais j’ai aussi côtoyé un homme très drôle, fier de m’expliquer comment il séquestrait sa femme (!) ainsi que de nombreuses femmes voilées chez qui je pouvais être invitée parce que j’étais une femme. C’était la première fois que je rencontrais des femmes voilées; il n’y en avait pas chez nous. C’était la première fois que j’entrais dans un monde où la femme n’existe pas à l’extérieur de la maison. Ce fut un choc de civilisation pour moi à l’époque.

À mon retour, j’ai reçu une lettre (oui, en vrai papier !) de la jeune femme qui m’implorait de l’accueillir dans mon pays. Je lui ai répondu qu’elle aurait du mal à s’adapter dans une société aussi libre que la mienne, dans une ville où la femme marche à côté de l’homme dans le même état de liberté. Elle ne m’a plus jamais récrit.

Le premier réflexe d’un immigrant est de trouver des référents communs pour se rassurer. Perdre ses repères culturels, nous le savons trop bien au Québec, est douloureux mais souvent nécessaire pour évoluer. Le référent le plus universel n’est pas religieux, mais humain. C’est sur cette base que les Québécois souhaitent partager leur quotidien. Et sur cette même base les immigrants n’ont, en général, aucun problème à s’adapter.

L’immigration musulmane est arrivée chez nous en groupe, ce qui est réconfortant pour elle. Mais si l’expression religieuse devient un prétexte pour éviter de s’adapter, le peuple d’accueil peut devenir méfiant (cela vaut aussi pour les autres religions). Nous ne pourrons jamais connaitre les intentions réelles des croyants extrêmes qui usent de notre charte des libertés pour imposer à notre démocratie leur propre vision de la liberté. Ces non-dits, cette opacité d’intention, cette confusion actuelle ternit le concept même de liberté. Et c’est la femme qui en fait les frais. Ce que les Québécoises refuseront, soyez-en certains.

On nous dit que certains hommes imposent le voile pour ne pas se faire voler leur femme : le Québec s’est construit sur le métissage depuis ses débuts donc, craindre de mixer les cultures, c’est se refermer sur soi dans son pays d’adoption. On dit aussi que le voile est imposé pour contrer les regards des hommes : le Québec est un lieu où l’homme doit apprendre à maitriser ses pulsions plutôt que de faire porter l’odieux de ses bas instincts à la femme. Ne pas s’ouvrir à ce comportement responsable, c’est se rebuter aux valeurs fondamentales du Québec. Des femmes disent qu’elles portent le voile en soumission à Dieu : cette ferveur extrême est un choix personnel que ne devrait pas payer la société qui les accueille, car cela crée un recul sur l’avancement de l’égalité homme-femme contré par les religions. On dit que le voile n’est pas politique : vouloir imposer la charia à notre système juridique énonce le contraire. Comment croire tout ce qui est dit, dédit, contredit, non-dit ? Cette confusion, il appartient aux musulmans de la clarifier, comme nous avons épuré nos contradictions avec le clergé. Alors seulement, nous pourrons poursuivre à l’unisson notre démarche vers une laïcité nationale adaptée à tous.