Les Maya ont décrit les cycles d’évolution de la conscience sur terre en neuf inframondes. La conscience s’élargirait en fonction de l’espace que nous avons conquis (cellule, mammalien, famille, tribu, culture, nation, planète, galaxie, univers). Au cours des cycles se développa la matière blanche et la grise du cerveau. L’expansion de la conscience nationale et planétaire dura environ 10 000 ans, période au cours de laquelle nous apprenions à saisir les jeux de pouvoir. Depuis 1999, l’humanité aurait atteint le stade de la conscience galactique qui l’amène à développer une éthique afin d’encadrer son pouvoir. On dirait bien que les Mayas avaient de la vision.
Le sentiment de puissance émanant du pouvoir devra donc céder le pas à l’intuition de l’équilibre via une éthique serrée. Nous devrons élargir notre conscience pour contrer les limites de la raison piégée par sa propre incohérence devant les multiples cultures d’organisations. Il existe bien des vigiles sur le plan géopolitique tel les Greenpeace et Amnistie internationale, des organismes de prévention s’assurant que les actions des gouvernements ne briment pas l’intégrité humaine et environnementale. Ont-ils un réel impact? Un resserrement de l’éthique viendra-t-il à bout de protéger les citoyens de Montréal et de Laval alors que les véreux pensent déjà à leur futur?
Changer de paradigme
La question éthique nous conduit à faire de la politique autrement. Mais pour la pratiquer, il nous faudra sortir du guichet unique du raisonnable. La raison pèse le pour et le contre, compare, juge à partir de faits visibles. C’est la base du droit et de nos institutions. Or, gérer un ensemble de systèmes à partir de la seule raison, sans se préoccuper des autres paramètres de nos structures mentales, réduit notre vision politique et favorise l’opacité, ce qui engendre un profond déséquilibre dans nos sociétés (pour en savoir plus, une conférence sur le sujet est offerte à l’UQAM). À mesure que les crises se multiplieront, les poutres de nos structures institutionnelles céderont et la parole des politiciens, de plus en plus dépossédée de substance visionnaire, ne pourra plus en souder les fissures.
Les questions d’intégrité dépassent la preuve visible et nous conduisent dans les souterrains de la psyché collective : la raison ne peut saisir d’emblée les intentions secrètes. Il faudra prévenir, donc, en avoir l’intuition. Ainsi, lorsqu’un élu s’isole, il devient dangereux parce que, lorsque laissé sans surveillance, il tend à verser vers l’abus de confiance. C’est un premier signe précurseur de corruption. Nous devons prévenir ce genre de comportements. Lorsque Gérald Tremblay est entré dans un mutisme de plomb, comme s’il avait un révolver sur la tempe, on aurait dû avoir les moyens de le sortir aisément de son isolement. Les vases doivent communiquer. Espérons que Denis Coderre – avec le même parti que Tremblay – saura recadrer les mœurs tout en amenant une vision à la métropole, avec plus de 140 caractères…
Les limites de la raison
Depuis l’art de la rhétorique d’Aristote, une avancée magnifique pour le développement du cortex, nous avons exercé et raffiné notre sens de l’argumentation. Si bien qu’aujourd’hui, chaque partie qui s’oppose dans de nombreux domaines peut parfaitement avoir raison. On l’a vu lors du printemps érable où ceux en faveur des carrés rouges trouvaient autant d’arguments brillants que ceux contre. Le gouvernement d’alors avait choisi de passer par la loi et la police puisque – à défaut d’avoir une vision – la parole du politicien a peu de poids devant une telle stigmatisation. Un autre événement démontrant un certain raffinement rhétorique est le débat sur les signes ostentatoires où chacun a rivalisé ad nauseamd’arguments logiques, tous plus éloquents les uns que les autres, à un point où le « pour » est devenu aussi satisfaisant que le « contre », écartant toute unanimité politique sur la question.
Parce qu’elle pousse les paradoxes à leur paroxysme, la raison est toujours responsable des crises qu’elle croit endiguer. Elle veut rassurer, conforter les destins, alors même qu’elle pousse les nations à renouveler leur passé, mais jamais leur avenir. Nous sommes techniquement morts.
Aristote a appelé l’art de la rhétorique la « raison divine » parce qu’il la considérait pouvoir s’élever au rang de Dieu, en tant que vérité. Or cette vérité s’est détériorée avec la stigmatisation des points de vue basés non plus sur des principes, mais sur la nature des choses, voire la culture. Les partis libéraux voient toujours leur ligne de parti drapée de l’auréole divine. À leurs côtés, les bien-pensants démocrates américains et autres Québec solidaire. Mais qui dit vrai, dès lors que la raison, limitée au monde qu’elle perçoit seulement pas les sens, ne peut concevoir d’autres vérités que la sienne ? Ainsi, les camps se stigmatisent. Si nous pouvions seulement cesser d’avoir peur, nous comprendrions l’universalité réelle d’une conscience visionnaire. Non. Nous préférons rester tétanisés par la peur.
Pour sortir de l’impasse
Il y a aussi les tactiques de Stephen Harper. Il a compris que, pour sortir de la résistance causée par la rhétorique, il faut imposer, écraser, désinformer et museler les dissonances. La dictature serait-elle la seule manière de sortir un État de la paralysie causée par le raisonnement logique? Ça fonctionne, mais tirer sur sa couverte n’est pas avoir de la vision, c’est donner raison à une idéologie. Nous voyageons donc entre un gouvernement libéral affichant un laissez-vivre de tous les paradoxes, ce qui mène à un antagonisme collectif (nous verrons bien avec Denis Coderre) et un Harper dictateur qui réussit à concrétiser ses convictions en faisant fi de tous les autres points de vue. Qui peut maintenant surveiller le premier ministre alors que rien ni personne n’a pu contrer sa stratégie d’isolement ?
La stigmatisation des points de vue crée une impasse que la dictature tente de briser. Dans les deux cas, cela n’apporte que du déséquilibre menant l’humanité vers sa lente agonie. Pourquoi ? Parce que nous avons perdu contact avec une autre partie de nous-mêmes, celle-ci, indéfendable aux yeux de la loi : l’intuition. La raison a fini par nous détourner de tout ce qui pourrait nous insécuriser, donc de l’inconnu et d’éléments visionnaires et créatifs. Nous sommes déconnectés de nos émotions en tant qu’agents de changement mal compris.
Alors que nos sociétés occidentales sont dotées d’institutions matures, leurs structures, faites du bois de la raison, pourrissent dans la résistance d’antagonismes partisans. L’édifice tombe au ralenti à l’usure. Et de plus en plus de gens sentent, perçoivent, pressentent l’écroulement et sortent de l’édifice pour penser autrement. Mais à l’instar de nos politiciens paralysés par la Raison suprême, rares sont ceux qui trouvent la force de pratiquer une vie créative. Provoquant doute, insécurité et inconfort tant qu’elle ne se matérialise pas, l’intuition est pourtant le début d’une conscience visionnaire. Pour changer nos modèles institutionnels, il faudra donc changer de niveau de conscience, et, pourquoi pas, faire le ménage de tout ce que nous y avons enfoui ! N’en sommes-nous pas déjà là? Une société créative apprendra à survivre à l’angoisse de la page blanche. Et bientôt pourvus de cette conscience éthico-galactique, l’élu devra oser exercer sa vision et le peuple devra oser le laisser agir.