Lawrence Kohlberg est un psychologue américain ayant développé à partir de sa thèse de doctorat The Development of Modes of Thinking and Choices in Years 10 to 16 de l’Université de Chicago1 (1958) un modèle du développement moral par stades, inspiré par le modèle du développement cognitif par paliers d’acquisition de Jean Piaget.

Kohlberg développera cette théorie toute sa vie durant, elle sera l’objet de nombreuses discussions en psychologie morale (constituant pendant plus de 30 ans le paradigme de la discipline). Parmi les autres chercheurs ayant contribué à l’approfondissement du modèle de Kohlberg citons Elliot Turiel et James Rest.

Méthode

Pour déterminer le stade maximal de développement moral atteint par un enfant, Kohlberg pose des dilemmes moraux, dont le but est d’amener le sujet à son maximum de réflexion éthique. Voici le plus célèbre de ces dilemmes, le dilemme de Heinz :

«  La femme de Heinz est très malade. Elle peut mourir d’un instant à l’autre si elle ne prend pas un médicament X. Celui-ci est hors de prix et Heinz ne peut le payer. Il se rend néanmoins chez le pharmacien et lui demande le médicament, ne fût-ce qu’à crédit. Le pharmacien refuse. Que devrait faire Heinz ? Laisser mourir sa femme ou voler le médicament ? »

Ce qui importe pour déterminer le stade moral atteint ce n’est pas la réponse donnée mais le type de justification. Il est important de noter que les tests de Kohlberg ne sont pas des tests conçus à des fins de diagnostic. Ils ont pour fin de mesurer la relation statistique entre différentes variables (notamment l’âge, mais aussi le sexe, la délinquance,…) et le niveau de développement moral.

Caractéristiques du développement moral

Après avoir administré ses tests à un large échantillon d’enfants, Kohlberg et ses élèves en ont conclu que le développement moral est :

  1. Séquentiel, c’est-à-dire qu’il se développe par étapes successives qui ne peuvent être devancées.
  2. Irréversible, sauf dans le cas de dégénérescences telles que la maladie d’Alzheimer, une fois l’un des stades acquis, une personne ne peut régresser à un stade antérieur
  3. Intégratif, une personne ayant acquis un stade supérieur étant à même de comprendre les raisonnements des individus ayant atteint les stades inférieurs.
  4. Transculturel, c’est-à-dire que dans toutes les cultures, le développement moral suit les mêmes étapes.
  5. La stagnation est possible, tout le monde n’atteint pas nécessairement le stade suivant.

L’irréversibilité est cependant à nuancer, il existe des variations intra-individuelles, c’est-à-dire qu’un même individu peut dans différentes situations émettre des jugements moraux appartenant à des stades distincts2. Cette variabilité intra-individuelle peut s’expliquer de différentes façons.

Premièrement, la distribution des réponses est le plus souvent gaussienne centrée sur un stade dominant, le stade actuel, certaines réponses marquant l’ébauche du stade supérieur et d’autres un vestige du stade inférieur. La progressivité du développement moral que reflète une telle distribution s’explique par l’acquisition d’une nouvelle règle dans des contextes précis au préalable de sa généralisation. Certains contextes se prêtent plus que d’autres à l’application de la nouvelle règle. Ce fait est mis en évidence par les résultats obtenus avec des variantes du dilemme de Heinz, il est ainsi plus facilement envisageable de juger moral le vol d’un médicament pour sauver sa femme que pour sauver sa voisine.

Par ailleurs, on observe une différence entre les jugements émis à propos de situations fictives et les jugements émis à propos de situations réelles, rencontrées par le sujet au cours de sa vie quotidienne (situations soit personnelles s’il y a participé, situations impersonnelles si elles lui ont seulement été rapportées). Les jugements sur des situations fictives appartiennent à un stade supérieur dans 88 % et 95 % des cas comparés respectivement aux jugements sur des situations impersonnelles et ceux sur des situations personnelles3

Stades de développement moral

Les âges indiqués sont les valeurs dans lesquels la grande majorité des sujets sont compris, ce qui explique le chevauchement. Certaines personnes peuvent être précoces ou au contraire en retard par rapport à ces valeurs indiquées.

Paliers préconventionnels

Ce niveau se caractérise par l’égocentrisme, c’est-à-dire que l’enfant ne se soucie que de son intérêt propre, les règles lui sont extérieures et l’enfant ne les perçoit qu’à travers la punition et la récompense.

Stade 1 – Obéissance et punition (2-5 ans)

L’enfant adapte son comportement pour fuir les punitions. Les normes morales ne sont pas intégrées.

Réponse possibles au dilemme de Heinz :

  • Heinz ne doit pas voler car s’il le fait il ira en prison.
  • Heinz doit voler car sinon Dieu le punira d’avoir laissé sa femme mourir.

Stade 2 – Intérêt personnel (5-7 ans)

À ce stade, l’enfant intègre les récompenses en plus des punitions. Il réfléchit.

Réponse possibles au dilemme de Heinz :

  • Heinz doit voler car sa femme l’aimera d’autant plus par la suite.
  • Heinz ne doit pas voler car c’est bien pire d’être envoyé en prison par le juge que d’être détesté par sa femme.

Paliers conventionnels

L’altérité prend de l’importance. L’individu apprend à satisfaire des attentes, obéir à des lois, des règles générales

Stade 3 – Relations interpersonnelles et conformité (7-12 ans)

L’enfant intègre les règles du groupe restreint auquel il appartient. Sa principale interrogation est : que va-t-on penser de moi ?

Stade 4 – Autorité et maintien de l’ordre social (10-15 ans)

L’enfant intègre les normes sociales. Il respecte les lois même si cela va contre son intérêt et qu’il sait pouvoir échapper à la sanction. On peut parler d’amour des lois ou de souci pour le bien commun.

Réponses possibles au dilemme de Heinz

  • Heinz ne doit pas voler car c’est interdit par la loi.
  • Heinz doit voler car les tribunaux ne condamnent pas le vol s’il est justifié alors que la non-assistance à personne en danger est condamnable.

Paliers post-conventionnels

L’individu fonde son jugement moral sur sa propre évaluation des valeurs morales. Il est prêt à enfreindre une loi s’il juge celle-ci mauvaise ou à l’inverse est prêt à condamner moralement certaines activités et à se les interdire alors même que la loi les autorise. Un certain nombre d’individus n’atteignent pas ces stades, pour preuve la défense d’Adolf Eichmann (tortionnaire nazi) a consisté à dire qu’il avait scrupuleusement agit de manière morale, ne faisant pas le moindre écart à la loi et aux ordres de ses supérieurs, y compris lorsqu’il aurait voulu épargner une de ses victimes. C’est un raisonnement typique du stade conventionnel, on pense ne pas être en tort moral dès lors que l’on respecte la loi. L’individu est incapable de former son propre jugement.

Stade 5 – Contrat social

L’individu se sent engagé vis-à-vis de ses proches. Il se soucie de leur bien-être et agit pour concilier ses intérêts aux leurs.

Stade 6 – Principes éthiques universels

Le jugement moral se fonde sur des valeurs morales à portée universelle et est adopté personnellement par le sujet à la suite d’une réflexion éthique (égalité des droits, courage, honnêteté, respect du consentement, non-violence, etc). Ces valeurs morales que se donne le sujet priment sur le respect des lois. Ainsi, la personne est prête à défendre un jugement moral minoritaire. Elle est capable de juger bonne une action illicite ou au contraire de juger mauvaise une action licite.

D’après Kohlberg, seul 13% de la population adulte atteindrait le stade 6.