Jamais avons-nous tant parlé de religion dans notre société qui a pourtant choisi de la faire disparaitre. Certains politiciens n’ont de cesse de nous rappeler à la liberté de culte, prêts à céder notre liberté d’expression : nous ne pouvons plus rire des prophètes mais nous pouvons mépriser les identités nationales. Une intolérance à la démocratie appelée « progressisme » dans ce nouveau millénaire.

La spiritualité n’a pourtant rien à voir avec la religion. Elle est la « qualité d’un être qui est esprit, qui n’a pas de corps » (CNRTL), une présence qui relie le soi au Soi. Aucun culte, rite ou croyance associés à ce phénomène intrinsèque à la nature humaine ne peut remplacer la conscience d’une personne face à son êtreté. Or le désir d’un establishement de valoriser certaines minorités religieuses pousse ces gens, souvent malgré eux, à opposer à la majorité des Québécois de toutes origines, les apparats du religieux devant l’impératif de l’être humain.

Le religieux est une sublimation de la réalité interne de l’être, une projection de soi dans un au-delà offert à l’imagination grâce à un représentant de Dieu qui dicte aux âmes ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. La religion entretient chez le fidèle un romantisme attribué aux valeurs de la vertu.

La religion n’est pas une affaire individuelle, au contraire, elle est la prise en charge par un « directeur de conscience » d’un groupe de personnes qui a besoin d’un rempart psychologique pour survivre à une certaine tension existentielle interne. Pour d’autres, elle est le lot d’un héritage culturel perpétué sans le remettre en question malgré les torts causés aux femmes en particulier. Ainsi la religion n’a rien à voir avec l’identité réelle de l’être.

Vers une 3e voie ?

Dans son article intitulé Delphine Horvilleur, rabbin, le très pertinent Christian Rioux cite cette femme rabbin laïque qui devrait inspirer bien des représentants religieux masculins.

« Les Américains sont les héritiers d’une séparation de l’Église et de l’État destinée à protéger les croyances individuelles de la pression étatique. En France, c’est l’inverse. On a voulu protéger l’État et les individus des pressions religieuses. La laïcité à la française est là pour garantir à l’individu, quelle que soit son appartenance, la possibilité de parler à la première personne du singulier sans pression d’une première personne du pluriel. Sans pression du “nous” communautaire. »

Dans les années 60, le Québec avait décidé que la spiritualité appartenait à chaque individu. Mais il n’est ni Anglais ni Français dans sa démarche. Le peuple québécois ne veut pas que l’État protège les croyances individuelles (anglosaxon) et il préfèrerait que l’État ne soit pas obligé de protéger les individus de pressions religieuses (Français). Mais il s’oppose aussi à la position biscornue d’un statu quo électoraliste, imposé par le gouvernement libéral.

Les Québécois ont rompu avec l’Église et ont simplement préféré voir l’espace public comme un laboratoire d’autonomie spirituelle. Y a-t-il plus souverain que celui qui dirige sa propre conscience à partir de son propre esprit plutôt qu’à partir d’influences extérieures ? Le Québec pourrait ainsi un jour écrire sa constitution sans mettre Dieu au-dessus de lui !

Les Québécois spirituels

Au Québec, si nous avons choisi d’en finir avec la religion, en contrepartie, nous avons trouvé d’autres manières de satisfaire notre spiritualité. Le dogme collectif a cédé à l’étude individuelle et facultative de l’esprit. Bien sûr, notre décision brutale trouve encore écho aujourd’hui à travers un taux de suicide élevé, surtout chez les hommes : la rupture avec la religion a émancipé les femmes.

L’émancipation de la femme affecte directement la dynamique culturelle du couple. Voilà beaucoup de repères perdus qui ont créé une détresse chez certains hommes. On peut comprendre des immigrants : abandonner leur religion signifierait peut-être perdre leur femme. Certains catholiques rêvent aussi secrètement de revenir en arrière. Toutes ces combinaisons font partie du laboratoire d’apprentissage de notre identité non conditionnée et nous rappellent que, sans la souffrance, l’être humain résiste à grandir. On peut donc s’attendre à beaucoup de souffrance dans les années à venir chez les plus résistants.

Les assurances spirituelles

Les grandes religions agissent comme un baume devant les démons intérieurs des fidèles, c’est pourquoi elles représentent un cadre apparemment sécuritaire. Elles permettent à l’être humain de se contenter d’avoir bonne conscience, de se voir comme une bonne personne, à défaut de développer toutes ses dimensions. Mais ces garanties religieuses font concurrence à d’autres polices d’assurances spirituelles. Au Québec, depuis la Révolution tranquille, mis à part différentes déclinaisons des grandes religions (baptiste, évangélique, soufisme, sionisme, etc.) de nombreux « produits dérivés » de différents cultes sont apparus. On en a créé un fourre-tout baptisé « New Age » mais pour la plupart, il s’agit de versions orientales occidentalisées de différentes croyances, rites ou techniques de guérison (yoga, chi-gong, taichi, reiki, etc) basées sur l’énergie vitale. Notre bonté chrétienne insiste trop souvent sur la gratitude, comme pour transposer le romantisme religieux à travers des techniques qui visent simplement l’augmentation de la vitalité.

La vérité est qu’il n’y a aucune assurance spirituelle garantissant la paix intérieure ou la connexion avec l’esprit. La seule garantie est l’intégrité de soi. Il faut pour cela affronter seul ses démons.

L’identité n’est pas une liberté individuelle

On n’a pas le choix d’être qui l’on est. Tout le reste est parure. Un athée peut se contenter d’une définition de ses attributs, de ses valeurs, de son état de bonheur, et un croyant aussi, avec en plus l’espoir d’une conversation, d’un accès privilégié à Dieu.

Le dictionnaire définit l’identité ainsi : conscience de la persistance du moi (CNRTL). Le religionnaire et les spirituels New Age s’attendent à ce que cette conscience soit sublimée soit par Dieu, soit par un ange ou autre force, à travers une attitude de prière ou de gratitude demanderesses. L’espérance religieuse et New Age repoussent le moment de la prise en charge.

Avoir de l’identité, c’est se connaitre profondément pour s’être mesuré à des forces activant le plus beau et le plus laid de soi. Être soi-même ne tient pas du religieux, mais d’une force d’intégrité, une « persistance du moi » dont chaque individu a la responsabilité. Loin d’être une liberté individuelle, avoir de l’identité découle de la direction de sa propre conscience. Elle est une obligation envers soi et non un droit constitutionnel national qui nous est dû.

Quand notre identité nous connecte au plus profond de soi, on ne demande rien à personne et personne ne nous doit rien. C’est cette autonomie individuelle – bien plus solide qu’une souveraineté nationale – qui caractérise la fin de la religion au Québec. C’est cette 3e voie que le peuple québécois est en train de tracer, malgré les dérives que nous imposent le retour du religieux et l’obligation du gouvernement de baliser.