Ce texte est aussi paru dans le Huffington Post

Marc Beaupré et François Blouin nous ont conviés à une aventure «flabergastante» dans HAMLET_DIRECTOR’S CUT. Cette dernière expression redimensionne l’immense tragédie shakespearienne dans une version « montage cinéma » qui a permis aux «réalisateurs» d’alléger l’œuvre et de la rendre plus comestible à notre mental de pixel.

Marc Beaupré, c’est le fameux Marc Arcand de Série noire. Il apparait vêtu de noir sur fond noir, seul au milieu de la scène. Son corps commence par tracer quelques mouvements précis et de là surgissent des traits verts sur un rideau transparent. Naissent ainsi de manière graphique et animée, les personnages de la pièce.

Le cœur de l’œuvre commence à battre lorsque Beaupré devient Hamlet et qu’il s’empare à la fois du récit narratif et des répliques de tous ses personnages. Après leur avoir donné vie par diverses chorégraphies, Marc Beaupré les anime en portant leur réplique, comme si chaque mot activait un feu d’allumage pour garder cet univers virtuel en interaction.

La fluidité du jeu physique de l’acteur, soutenue par les effets visuels, parfois fantaisistes souvent élégants, comme ce brouillard dans lequel Hamlet disparait sous nos yeux, est à ravir.

Le récit, revisité sans pour autant tromper l’esprit de Shakespeare, est ponctué de phrases brèves. On dirait une narration conçut pour les habitués des 140 caractères de twitter. Les auteurs ont opté pour un résumé de la tragédie. Loin d’appauvrir le chef-d’œuvre classique, cet allègement l’épure de la surenchère habituelle des langueurs et lui procure de la clarté.

Les atermoiements des royautés généralement victimes de complots et d’empoisonnements sont ici atténués. Un Shakespeare peu bruyant, est-ce possible? La sobriété d’une mise en scène sans décors, l’étrange douceur qui émane du visuel graphique, l’absence d’interactions brusques entre personnages et les effets sonores en filigrane captivent notre attention vers l’essentiel: Hamlet, le doute, la quête du sens.

Un Shakespeare silencieux qui réduirait aussi la douleur à un songe? Quand même pas… Elle est expulsée de bien ardente manière. Hamlet, le père, la mère, l’oncle, Ophélie, et les autres, Marc Beaupré les fait tous vibrer chacun dans leur registre.

L’acteur déclame avec souffle tout en bougeant élégamment et sans arrêt, comme s’il avait pour mission de garder en vie des personnages qui ne cessent pourtant de se tuer. Marc Beaupré est un grand acteur, un artiste physique pour qui le poids de la tradition shakespearienne ne semble aucunement peser.

La création multimédia a permis aux metteurs en scène d’épurer le sang, la douleur, les cris, le drame, pour faire de ce grand classique une «horreur de notre temps» au sens où l’être et la mort sont occultés. Ce «montage des réalisateurs» a liquéfié l’animalité des personnages, il a dématérialisé le sang. La bestialité de cette tragédie est absente pour nous livrer en pâture à l’essentiel dont nous n’avons plus qu’un vague souvenir: l’être.

La sobriété du jeu de Marc Beaupré est particulièrement juste et efficace pour faire ressortir cette «êtreté». Il devient écorchant de douceur lorsqu’il attaque le fameux passage :

Être, ou ne pas être: telle est la question. Y a-t-il pour l’âme plus de noblesse à endurer les coups et les revers d’une injurieuse fortune, ou à s’armer contre elle pour mettre frein à une marée de douleurs?

Cette version «director’s cut» nous transporte dans un autre temps. Mais elle ramène aussi à l’ordre du jour cette question existentielle que nous aimons dissimuler dans les dédales d’un cyberespace parfois assassin.

Hamlet_Director’s cut de William Shakespeare
Théâtre La Chapelle
Du 3 au 14 avril 2017
Mise en scène : François Blouin et Marc Beaupré
Interprété par Marc Beaupré