La lettre de M. Archibald dans La Presse m’a interpelée au sens où son cri du coeur est dirigé vers un système qui n’a par défaut que peu d’intérêt pour l’humain. Dans l’alerte émise par l’écrivain, les assureurs sont particulièrement visés. Sa demande a été refusée et l’homme n’a pu être pris à temps pour traverser une grave dépression.

Dans la chaine actuelle offerte aux salariés, les patients font partie de ce combo : médecin/thérapie-assurance-pilules. Ainsi un papier de médecin et la promesse de suivre une thérapie conduisent le patient à obtenir un dossier chez l’assureur qui l’indemnisera en partie pour ses frais. Si les assurés sont en droit de réclamer car ils payent pour ce système, on ne peut blâmer les assureurs d’exiger des preuves et des faits sur l’incapacité de travailler. Elles se le permettent d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un mal invisible.

Il reste que dans ce texte, nulle part on ne fait état de la responsabilité de l’employeur (le patron) ni de celle de l’employé. Le premier contrat de saine hygiène mentale devrait être discuté entre l’employeur et l’employé pour éviter l’épuisement tout en bonifiant l’entreprise. Beaucoup d’employeurs l’ont compris et offrent de meilleures conditions pour préserver l’épanouissement de la personne. Les non-dits à ce sujet entre le patron et l’employé sont très mauvais conseillers et précurseurs d’épuisement professionnel.

Étant donné l’épidémie de dépression, de burn out, de fragilité mentale, c’est un peu court de remettre la faute sur les assureurs qui ne font que répondre à la culture de performance. Notre vie vaut-elle si peu qu’il faille rester esclave de cette culture et continuer de nourrir ses illusions ? La société nous pousse à performer pour garder notre emploi, notre revenu, notre style de vie, notre maison, puis notre famille, notre honneur, notre dignité. Mais à quoi sert la dignité lorsque l’être est privé de sa propre essence, de sa propre énergie? C’est la question que nous pose collectivement la dépression pandémique.

Pour une grande part, le mal invisible que sont les problèmes mentaux, c’est d’abord le fait d’une mauvaise gestion de la vitalité (forces du corps) et de l’essence (force du mental) que seule la personne peut mesurer. Dans son texte, M. Archibald exprime qu’il va mal, qu’il essaie de s’en sortir, qu’il a besoin de temps, qu’il aimerait que l’assureur respecte son contrat d’indemnisation. Il a raison. Seulement voilà, l’assurance, c’est un business relié aux banquiers. C’est tout dire sur les limites de l’assureur. Les banques ne cherchent pas des bénéfices pour les travailleurs mais pour leur portefeuille.

Gagner sa vie ou la perdre

Il y a deux ans, j’ai coaché une femme en poste à une banque, une femme épuisée, au bout du rouleau. Nous avons commencé par recadrer les conditions de son environnement de travail où tous étaient aussi tendus qu’elle. Nous avons travaillé sur son état émotif, les crises de panique par une technique très efficace de respiration. Ensuite nous avons exploré sa difficulté à exprimer ses limites, puis à oser demander et ajuster les choses afin qu’elle perdre moins d’énergie. Utiliser ses émotions comme des clés de transformation, à travers des relations opaques ou de pouvoir redonne considérablement d’énergie. Les subir, crée au contraire une dévitalisation ressentie au quotidien. Elles usent le mental, le physique, l’âme.

De là, nous avons travaillé l’estime de ma cliente puis son insécurité financière, point toujours difficile à transformer chez les gens. L’insécurité financière fait en sorte que nous acceptons des conditions de vie parfois inhumaines. Ma cliente craignait de demander plus de congés de peur d’être virée et/ou de ne pas avoir assez d’argent. Crainte bien légitime, mais… À un moment donné, je lui ai dit que sa santé allait devenir un enjeu. Je tentais de stimuler en elle le courage de demander un billet de médecin, quitte à assumer une perte financière pour gagner en énergie vitale, le temps de se remettre. Puis un diagnostic singulier et cruel est tombé : cancer du coeur ! Du jamais vu !

Ma cliente s’était placée devant un non choix d’obtenir un congé de son docteur, ayant joué toutes ses énergies pour ne pas affronter certaines peurs, dont l’autorité d’un système anonyme. Enfin, à partir de ce verdict fatal, elle s’est accordé de faire les mutations intérieures qu’elle pouvait et qui l’on amenée à se rencontrer, à retrouver son essence, à finalement aimer « être pour être ». Elle faisait des pas de géant, appréciait au tréfonds d’elle-même la nouvelle connexion avec son corps, avec ses énergies vitales; elle regagnait en force, en liberté, en confiance. Mais la maladie a été plus intense qu’elle. J’ai donc également dû accompagner cet Être… jusqu’à la mort.

Réformer le monde du travail

Voilà comment on se traite. Voilà ce qu’on pense de nous-mêmes, nous, les humains prisonniers d’un système. Aucun assureur, aucun patron ne peut décider de nos limites. Et si nous attendons d’être épuisés, près de la mort pour faire les changements que la vie nous impose, nous tombons dans les filets d’un système. Celui-ci ne peut aucunement palier à la responsabilité que nous avons tous, en tant qu’individus, de nous arrêter pour écouter la bonne direction à prendre pour « soi », quand notre corps nous parle, quand nos énergies baissent. On peut nous faire croire que c’est de la paresse, de la mollesse. Mais c’est de l’intelligence !

La dépression découle d’une nécessaire mutation de la personne, comme un signal clair qu’elle n’est plus à sa place ou qu’elle ne peut plus fonctionner comme avant pour diverses raisons à découvrir, à évaluer.

Archibald écrit : « Je vis depuis des mois avec le sentiment déplaisant de n’être plus l’homme que j’ai déjà été ». Et c’est bien là ce que la vie attend de nous, que nous évoluions.

Nous avons tous un changement de culture à faire dans notre manière de dépenser nos énergies. Le système est devenu un monstre qui disperse les forces vitales des travailleurs. C’est à chaque individu de prendre la responsabilité de ne pas se laisser consumer. C’est en traversant ce désert, en affrontant nos démons que nous développons la volonté de changer notre condition pour redevenir l’humain qu’on avait oublié. Et plus nous serons nombreux à le faire, plus notre système reflètera notre nouveau visage : nous sommes des êtres de coeur et d’esprit, pas des robots. Et en ce troisième millénaire, nous avons de nouvelles raisons d’être. À découvrir.

(S. Archibald a finalement vu son dossier être réexaminé par ses assureurs)

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