Marcher dans la rue. Prendre le m\u00e9tro le soir. Mettre une minijupe, un d\u00e9collet\u00e9 et de hauts talons. Danser seule au milieu de la piste. Me maquiller comme un camion vol\u00e9. Prendre un taxi en \u00e9tant un peu ivre. M\u2019allonger dans l\u2019herbe \u00e0 moiti\u00e9 d\u00e9nud\u00e9e. Faire du stop. Monter dans un Noctambus. Voyager seule. Boire seule un verre en terrasse. Courir sur un chemin d\u00e9sert. Attendre sur un banc. Draguer un homme, changer d\u2019avis et passer mon chemin. Me fondre dans la foule du RER. Travailler la nuit. Allaiter mon enfant en public. R\u00e9clamer une augmentation. Dans ces moments de la vie, quotidiens et banals, je r\u00e9clame le droit de ne pas \u00eatre importun\u00e9e. Le droit de ne m\u00eame pas y penser. Je revendique ma libert\u00e9 \u00e0 ce qu\u2019on ne commente pas mon attitude, mes v\u00eatements, ma d\u00e9marche, la forme de mes fesses, la taille de mes seins. Je revendique mon droit \u00e0 la tranquillit\u00e9, \u00e0 la solitude, le droit de m\u2019avancer sans avoir peur. Je ne veux pas seulement d\u2019une libert\u00e9 int\u00e9rieure. Je veux la libert\u00e9 de vivre dehors, \u00e0 l\u2019air libre, dans un monde qui est aussi un peu \u00e0 moi.<\/p>\n
Je ne suis pas une petite chose fragile. Je ne r\u00e9clame pas d\u2019\u00eatre prot\u00e9g\u00e9e mais de faire valoir mes droits \u00e0 la s\u00e9curit\u00e9 et au respect. Et les hommes ne sont pas, loin s\u2019en faut, tous des porcs. Combien sont-ils, ces derni\u00e8res semaines, \u00e0 m\u2019avoir \u00e9blouie, \u00e9tonn\u00e9e, ravie, par leur capacit\u00e9 \u00e0 comprendre ce qui est en train de se jouer ? A m\u2019avoir boulevers\u00e9e par leur volont\u00e9 de ne plus \u00eatre complice, de changer le monde, de se lib\u00e9rer, eux aussi, de ces comportements ? Car au fond se cache, derri\u00e8re cette soi-disant libert\u00e9 d\u2019importuner, une vision terriblement d\u00e9terministe du masculin : \u00abun porc, tu nais\u00bb. Les hommes qui m\u2019entourent rougissent et s\u2019insurgent de ceux qui m\u2019insultent. De ceux qui \u00e9jaculent sur mon manteau \u00e0 huit heures du matin. Du patron qui me fait comprendre \u00e0 quoi je devrais mon avancement. Du professeur qui \u00e9change une pipe contre un stage. Du passant qui me demande si \u00abje baise\u00bb et finit par me traiter de \u00absalope\u00bb. Les hommes que je connais sont \u00e9c\u0153ur\u00e9s par cette vision r\u00e9trograde de la virilit\u00e9. Mon fils sera, je l\u2019esp\u00e8re, un homme libre. Libre, non pas d\u2019importuner, mais libre de se d\u00e9finir autrement que comme un pr\u00e9dateur habit\u00e9 par des pulsions incontr\u00f4lables. Un homme qui sait s\u00e9duire par les mille fa\u00e7ons merveilleuses qu\u2019ont les hommes de nous s\u00e9duire.<\/p>\n
Je ne suis pas une victime. Mais des millions de femmes le sont. C\u2019est un fait et non un jugement moral ou une essentialisation des femmes. Et en moi, palpite la peur de toutes celles qui, dans les rues de milliers de villes du monde, marchent la t\u00eate baiss\u00e9e. Celles qu\u2019on suit, qu\u2019on harc\u00e8le, qu\u2019on viole, qu\u2019on insulte, qu\u2019on traite comme des intruses dans les espaces publics. En moi r\u00e9sonne le cri de celles qui se terrent, qui ont honte, des parias qu\u2019on jette \u00e0 la rue parce qu\u2019elles sont d\u00e9shonor\u00e9es. De celles qu\u2019on cache sous de longs voiles noirs parce que leurs corps seraient une invitation \u00e0 \u00eatre importun\u00e9e. Dans les rues du Caire, de New Delhi, de Lima, de Mossoul, de Kinshasa, de Casablanca, les femmes qui marchent s\u2019inqui\u00e8tent-elles de la disparition de la s\u00e9duction et de la galanterie ? Ont-elles le droit, elles, de s\u00e9duire, de choisir, d\u2019importuner ?<\/p>\n
J\u2019esp\u00e8re qu\u2019un jour ma fille marchera la nuit dans la rue, en minijupe et en d\u00e9collet\u00e9, qu\u2019elle fera seule le tour du monde, qu\u2019elle prendra le m\u00e9tro \u00e0 minuit sans avoir peur, sans m\u00eame y penser. Le monde dans lequel elle vivra alors ne sera pas un monde puritain. Ce sera, j\u2019en suis certaine, un monde plus juste, o\u00f9 l\u2019espace de l\u2019amour, de la jouissance, des jeux de la s\u00e9duction ne seront que plus beaux et plus amples. A un point qu\u2019on n\u2019imagine m\u00eame pas encore.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
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