{"id":698,"date":"2016-06-04T02:10:48","date_gmt":"2016-06-04T02:10:48","guid":{"rendered":"http:\/\/42e.5c8.myftpupload.com\/?p=698"},"modified":"2019-05-05T16:16:50","modified_gmt":"2019-05-05T16:16:50","slug":"698","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/laguaya.ca\/2016\/06\/04\/698\/","title":{"rendered":"Affaire Turcotte: une justice qui vire nos valeurs sans dessus-dessous"},"content":{"rendered":"
L’affaire Guy Turcotte est en train de faire apparaitre sous nos yeux une douteuse mutation de notre syst\u00e8me juridique vers le droit anglais jurisprudentiel. Notre identit\u00e9 et les valeurs qui sous-tendent notre soci\u00e9t\u00e9 sont pourtant issues de la tradition romaine – le Code civil de Napol\u00e9on – qui consid\u00e8re avant tout l’humain comme \u00e9tant conforme \u00e0 la nature. Cela signifie que l’Homme est dot\u00e9 d’attributs naturels dont l’intuition fait partie int\u00e9grante dans son instinct de pr\u00e9servation : le droit fran\u00e7ais juge l’Homme dans son essence immanente sans \u00e9gard pour sa race, son sexe, sa fonction, etc. Le droit anglais ne consid\u00e8re pas l’humain d’abord dans ses attributs naturels, faisant de nous tous des \u00eatres \u00e9gaux, mais dans l’expression de son individualit\u00e9, dans son droit \u00e0 sa diff\u00e9rence. Ces deux visions devraient \u00eatre compl\u00e9mentaires tout en donnant pr\u00e9s\u00e9ance au principe humain valoris\u00e9 par le droit fran\u00e7ais, le seul qui ne soit pas issu du religieux ou du coutumier. C’est le droit que le Qu\u00e9bec pratiquait jusqu’\u00e0 la Constitution de 1982. Aujourd’hui, l’\u00e9thique juridique ou moralit\u00e9 anglaise impos\u00e9e par la loi, pour ne pas dire la Cour Supr\u00eame, est en train insidieusement de virer sens dessus-dessous nos valeurs qu\u00e9b\u00e9coises.<\/p>\n
Le droit fran\u00e7ais a \u00e9t\u00e9 le guide depuis la R\u00e9volution fran\u00e7aise jusque m\u00eame dans nos instances juridiques internationales. Aujourd’hui une concurrence mondiale f\u00e9roce se joue pour \u00e9craser le droit fran\u00e7ais, vu comme trop rigide dans notre soci\u00e9t\u00e9 de droits individuels. De par sa grande souplesse \u00e0 traiter au cas par cas, le droit anglais avantage entre autres les multinationales et les extr\u00e9mistes religieux qui en font tr\u00e8s bon usage pour dominer le monde. Et le Qu\u00e9bec n’est pas \u00e9pargn\u00e9. Outre l’augmentation du temps d’attente, ce droit semble aussi engendrer de subtiles d\u00e9rives alt\u00e9rant la d\u00e9finition m\u00eame de ce que devrait \u00eatre un humain par essence. C’est le cas dans l’affaire Turcotte.<\/p>\n
Le droit anglais se distingue du droit fran\u00e7ais de la m\u00eame mani\u00e8re que Newton et Descartes se positionnaient face \u00e0 la notion du principe : le premier voulait s’en \u00e9carter pour plus de cr\u00e9ativit\u00e9 m\u00e9canique, dite objective, le second voulait le respecter comme le poids de mesure, le r\u00e9f\u00e9rant naturel \u00e0 toute chose. La pens\u00e9e anglaise a gagn\u00e9 tant dans la science qu’en droit. Si bien qu’aujourd’hui, parler du respect du principe est vu comme une rigidit\u00e9 dans notre soci\u00e9t\u00e9 de droit o\u00f9 l’individu est roi. Ce sacro-saint individu est consid\u00e9r\u00e9 comme capable de penser son propre principe, sans \u00e9gard pour son humanit\u00e9 intrins\u00e8que ; cette r\u00e9flexion egoique peut mener \u00e0 de nombreuses d\u00e9viations psychologiques d\u00e8s lors que la libert\u00e9 est bas\u00e9e sur un sentiment et non sur la libert\u00e9 elle-m\u00eame. Et cette libert\u00e9 de s’\u00e9loigner du principe universel de notre humanit\u00e9 est d\u00e9fendue par les juges usant d’un syst\u00e8me ayant lui-m\u00eame \u00e9vacu\u00e9 l’essence humaine au profit d’une m\u00e9canique cr\u00e9ative du droit : les techniques de normes hi\u00e9rarchis\u00e9es.<\/p>\n
Ces derni\u00e8res ont remplac\u00e9 l’herm\u00e9neutique du droit, \u00e0 savoir la capacit\u00e9 du juge \u00e0 faire valoir son interpr\u00e9tation. Celle-ci \u00e9tait bas\u00e9e autrefois sur la rh\u00e9torique d’Aristote qui incluait \u00e0 la fois l’intuition et la raison dans la preuve, histoire que le juge ne d\u00e9connecte pas de sa nature intrins\u00e8que son propre jugement (voir certains effets m\u00e9moire 009M<\/a>). Pourquoi a-t-on \u00e9vacu\u00e9 la mystique herm\u00e9neutique du droit ? Parce que le plus souvent elle d\u00e9coulait de juges ant\u00e9rieurs, donc issus d’une \u00e9poque moralement r\u00e9volue, cons\u00e9quemment vue comme trop rigide. Pour ainsi dire, on a jet\u00e9 le b\u00e9b\u00e9 avec l’eau du bain.<\/p>\n Diss\u00e9quer l’essence humaine pour qu’elle entre dans une grille d’\u00e9valuation<\/strong><\/p>\n Moralit\u00e9 r\u00e9volue, soit, mais il y a des choses qui ne changeront jamais de par nature. Et pourquoi avoir privil\u00e9gi\u00e9 un seul h\u00e9misph\u00e8re du cerveau pour juger de la race humaine ? Comment la raison seule peut-elle offrir une coh\u00e9rence en regard de notre humanit\u00e9 si complexe ? Le droit de la raison a fini par compartimenter l’homme au lieu de le voir comme un tout. Le public n’est pas dupe devant cette charcuterie. Turcotte qui jure n’\u00eatre fou que lorsqu’il est tr\u00e8s contrari\u00e9 a bel et bien \u00e9t\u00e9 entendu. Le public heurt\u00e9 par le verdict de non responsabilit\u00e9 criminelle, lui, est r\u00e9primand\u00e9. De quoi se poser de graves questions sur notre syst\u00e8me. Il est anormal que notre justice produise un contresens devant la nature intrins\u00e8que de l’Homme : un crime est commis par un criminel qui avoue sa faute. On ne peut donc le pr\u00e9sumer innocent et lui offrir en m\u00eame temps une libert\u00e9, m\u00eame restreinte.<\/p>\n Le droit anglais arrive au m\u00eame moment en Afrique du Sud \u00e0 cr\u00e9er un verdict d’homicide \u00ab involontaire \u00bb dans l’affaire Pistorius, faute de preuve. Pourquoi ? Parce qu’on ne fait plus les liens de cause \u00e0 effet, ce n’est pas consid\u00e9r\u00e9 raisonnable. Plut\u00f4t on oppose la parole de l’un contre celle de l’autre, la vision d’un expert contre un autre et le jur\u00e9 est suppos\u00e9 \u00eatre assez intelligent pour d\u00e9cider ce qui est moralement acceptable dans un contexte o\u00f9 on atrophie la d\u00e9finition d’un humain de la moiti\u00e9. Deux hommes consid\u00e9r\u00e9s dans leur milieu ont commis un crime bas\u00e9 sur la jalousie et la possessivit\u00e9 face \u00e0 une femme. Deux hommes resteront \u00e0 moiti\u00e9 punis de leur crime parce que le syst\u00e8me \u00e9value l’Homme comme une op\u00e9ration technique par le biais d’une grille normative hi\u00e9rarchis\u00e9e. L’absence de l’intuition dans nos instances – intuition qui fait partie int\u00e9grante de chacun de nous et dont nous nous servons tous les jours pour nous aider \u00e0 comprendre nos faits et gestes inconscients – est en train de cr\u00e9er une jurisprudence qui d\u00e9poss\u00e8de l’humanit\u00e9 de ses attributs naturels. Cette justice nous d\u00e9shumanise. Le public refuse net cette d\u00e9connexion d’avec la r\u00e9alit\u00e9, cette ellipse dans la rh\u00e9torique aristot\u00e9licienne.<\/p>\n La raison qui se prend pour Dieu<\/strong><\/p>\n Si Guy Turcotte n’est pas criminellement responsable, qui donc est responsable de ce crime horrible commis sur ses enfants ? Un \u00eatre trouble que l’on d\u00e9connecte de sa partie noire pour lui \u00e9viter le pire n’est toujours que la m\u00eame personne. La raison du droit a coup\u00e9 l’homme en deux et voudrait que le public accepte que le droit charcute \u00e0 ce point l’essence de l’\u00eatre ? Ce point r\u00e9v\u00e8le les failles du droit moderne : la raison se prend pour Dieu.<\/p>\n Le mal fait partie de chacun de nous et dans toute personne, il existe une tension cr\u00e9atrice qui, d\u00e9vi\u00e9e de son principe peut devenir destructrice (voir le livre \u00e0 paraitre<\/a>). \u00c0 chacun d’y voir. Au lieu de pr\u00e9juger d’un public inculte, les membres du barreau pourraient au moins examiner pourquoi les techniques de normes hi\u00e9rarchis\u00e9es font conclure \u00e0 la non criminalit\u00e9 d’une personne coupable, ici, pourquoi il a fallu diviser un homme en deux pour que fonctionne le verdict de sa non culpabilit\u00e9. On peut comprendre le d\u00e9sir d’att\u00e9nuer une peine, mais tordre la r\u00e9alit\u00e9 humaine pour la rentrer dans une case technique ne refl\u00e8te pas la nature humaine telle que vue par le droit romain, celui tout aristot\u00e9licien par lequel Thomas d’Aquin a b\u00e2ti nos premi\u00e8res universit\u00e9s.<\/p>\n