Philippe Couillard ne vient-il pas de transférer la responsabilité de son plan d’austérité vers les villes grâce à ce pacte fiscal? Faire cette offre au moment où son gouvernement est en train de briser le Québec permet au premier ministre de littéralement partager le blâme avec les villes dès lors que celles-ci augmenteront les taxes et négocieront avec leurs syndicats.
En d’autres mots, Couillard est-il en train d’acheter le silence des villes face aux choix de son gouvernement (pipeline, plan nord et projets domestiques), comme un cadeau empoisonné? La grogne des citoyens sera dirigée vers les villes, plutôt que vers Québec. Malgré les bienfaits d’une telle entente, on reste méfiant en cette ère cynique face aux intentions des élus.
Par exemple, lorsque le premier ministre ampute les services directs aux élèves, sabote ce qui fonctionne bien sous le prétexte de redistribuer les enveloppes de la bonne manière, sans jamais nous avoir fourni sa vision en campagne électorale. Stendhal l’a bien relevé: «La parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée».
Par ses actions, il semble plutôt répondre à un appel d’en haut: redistribuer l’argent des contribuables vers les intérêts privés qui figurent sur son carnet de bal. La réingénierie de l’État de Charest se poursuit avec Couillard: faire croire que nos institutions ne fonctionnent pas, les démanteler dans le but d’y infiltrer les corporations amies (voir cette réingénierie mondiale de l’État).
Tandis que les villes taxeront davantage les citoyens et que nous serons tous tournés vers elles pour les pourfendre, le premier ministre pourra poursuivre loin des regards son plan de détournement de nos richesses de manière sélective. Il continuera de livrer le bien commun du peuple (institutions, impôts, énergies, ressources humaines), bref tout ce qui nourrit notre identité, à ceux à qui il doit son poste, à ceux qui le protégeront lorsqu’il devra rendre des comptes à la population.
Pacte avec le … fédéral
Les Québécois seront-ils en même temps livrés en pâture à Ottawa, grâce à un autre pacte fiscal: arrimer Revenu Québec avec Revenu Canada et prétexter un doublon pour en transférer la gestion au fédéral? Ce que Charest avait entamé, Couillard n’aura sûrement aucun scrupule à le conclure.
Lorsque notre gouvernement provincial aura cédé son pouvoir de taxer au fédéral, à quoi donc servira le pacte fiscal des villes? Les municipalités étant un gouvernement de proximité, auront-ils les mains liées de plus près aux amis du pouvoir… fédéral, voire au chantage anti-Québec? Depuis la Commission Charbonneau, nous connaissons aujourd’hui l’ampleur de la corruption dans les villes et la facilité à faire chanter cet appareil. Le refrain de l’opacité est culturel sur le globe depuis la nuit des temps. C’est ainsi que la corruption municipale trace le destin des citoyens où certains réussissent à passer leur incompétence dans le collimateur de la collusion.
Si, Couillard cédait nos impôts à Revenu Canada, le gouvernement fédéral pourrait contrecarrer notre manière de dépenser, donc notre «manière d’être québécoise» jusque dans les services qui nous touchent de près. L’identité de nos villes y perdrait; le gouvernement fédéral n’hésite jamais à s’ingérer, surtout lorsque l’enjeu est politique (lire assimiler le Québec).
Le pacte fiscal est indissociable des jeux de coulisse et il est temps qu’on éclaire les loges de ceux qui prétendent notre bien tout en dilapidant nos impôts vers d’autres mains.
L’avenir appartient-il aux villes?
Sous le règne de Paul Martin, on exprimait l’importance indéniable du rôle des villes dans la modernité. Soit. Mais aujourd’hui, à voir la pugnacité de certains élus à démanteler la souveraineté des nations, on peut se demander à qui servira réellement ce transfert du pouvoir de taxer vers nos gouvernements de proximité.
La seule bonne nouvelle réside justement dans cette proximité avec les citoyens. Il est à espérer que les populations des villes réclameront un changement de culture chez leurs élus. Il est beaucoup plus facile de faire pression sur une ville que sur un gouvernement provincial, parce que les gens se connaissent, ils sont parfois des voisins.
Malheureusement, la pression peut se faire dans un sens comme dans l’autre. Un élu municipal peut subir l’intimidation de promoteurs dont le bien commun (environnement, sécurité, etc.) passe après les intérêts personnels. Combien de maires sont à la merci de ceux qui demandent des faveurs, des changements de règlements? Cet esprit mafieux conduit les décisions des municipalités parce qu’on n’a pas l’impression, lorsqu’on est si près du pouvoir, qu’on détruit la cohésion lorsqu’on demande une faveur. C’est une question d’échelle. Et pourtant, on connaît l’impact du battement d’aile d’un papillon sur l’ensemble de la chaîne. C’est contre cette tentation que le «citoyen-consommateur-travailleur-entrepreneur» doit apprendre à résister, contre l’idée que quelqu’un d’autre en profitera si ce n’est pas lui.
Normalement, nos élus sont là pour protéger la cohésion entre les divers intérêts. Cette noblesse est-elle à jamais révolue? Si le pacte fiscal municipal servait en toute transparence les citoyens, ils pourraient enfin trouver une cohésion et en finir avec le chantage de certains privilégiés. Par contre, si nos impôts provinciaux tombaient dans les mains du gouvernement fédéral, les Québécois pourraient perdre le contrôle dans la direction de leurs affaires, même de proximité.
L’austérité du gouvernement Couillard n’est pas pensée pour le bénéfice de la population mais pour céder nos institutions aux corporations. Notre système d’éducation en est le parfait exemple. Il est la proie des promoteurs du libre-marché dont nous savons qu’il bénéficie à 1% d’une population d’oligarques milliardaires (Ousmanov, Mittal, Berta, Desmarais). Ce ne sont pas les riches du Québec (150 000 $ et plus) qui forcent le plus la dérèglementation étatique. Mais ceux qui cherchent à contrôler par eux-mêmes une douteuse redistribution de la richesse, parfois sous le couvert de la bienfaisance (Bill Gates et ses fondations de charité investit dans le pétrole saoudien et non dans les énergies renouvelables). Rien ne peut évoluer dans un contexte si étroit.
Le gouvernement fédéral est à la solde des oligarchies, comme tous les États. Si les Québécois veulent faire du vrai ménage, ils devront affronter la bête qui menace leur richesse: à la fois leur identité et leurs avoirs. Cette bête, nous la verrons de bien près lorsque les villes auront le pouvoir de choisir entre servir les citoyens avec ses taxes ou se laisser intimider puis abuser de la confiance du peuple. C’est cette culture-là qui provoque des périodes d’austérité.
Mais Couillard ne fait rien pour la changer. Au contraire, il en profite pour dilapider d’avantage le bien commun. Bel exemple pour les fonctionnaires syndiqués.