J’aime les journalistes internationaux. Ils ont tous une manière de nous transporter dans un univers étranger. Le journalisme international est un art, celui de nous rendre une vérité inhabituelle plus familière avec des moyens que le public ignore, et qu’il n’a pas besoin de connaitre en temps normal.
Sommes-nous dans ce temps normal ? Lorsque tout un pan du Moyen-Orient veut sauvagement exterminer un Occident démesurément egocentrique, salafistes et selfistes se retournent le miroir de leurs vérités et de leurs mensonges. Rien de bien réel. Pourquoi donc faire du journalisme lorsque vérité et mensonge sont les deux faces de la même illusion ? Nous sommes au bord d’une crise existentielle mondiale.
L’international
Il y a plus de 2000 ans, Aristote nous a enseigné l’art de la preuve : lorsque le tribun parvient à l’équilibre parfait entre le Beau, le Juste, le Vrai, il atteint la grâce de la raison divine. L’on sent chez François Brousseau et Michèle Ouimet que la recherche du Vrai est plus attachée au Juste (ethos) au détriment du Beau (pathos, art de convaincre). Certains journalistes ont cette fâcheuse impression que la vérité ne doit être que cartésienne pour lui donner l’apparence d’une plus grande neutralité, d’une preuve plus solide ; alors ils concentrent l’information sur des faits. Mais le pathos fait partie des ingrédients d’une information qui nous permettent de donner un sens à la parole, donc aux événements. Jean-François Lépine, aux médias électroniques, incarnait cette capacité de livrer l’émotion, mais pas la sienne.
Qui transmet le Beau ?
Le journalisme a détourné le pathos du tribun pour le faire porter par des protagonistes. À savoir autrefois, c’étaient les historiens qui revenaient des pays lointains relatant eux-mêmes les faits à partir de leur propre quête. Aujourd’hui, le journaliste fait parler des gens à sa place pour raconter une réalité dont la perspective subjective peut être présentée comme objective. Ce transfert du pathos donne l’impression que le journaliste est neutre. Ainsi les médias peuvent jouer allègrement sur la sentimentalité du public envers une cause (pour ne pas dire des intérêts occultes) sans perdre leur crédibilité : c’est tout l’art de manipuler les masses. Aristote serait peut-être déçu de voir que le tribun-journaliste a transféré sa responsabilité de porter le message sur ses « personnages » au profit d’intérêts anonymes.
J’admire François Brousseau pour sa finesse, Michèle Ouimet pour sa douce révolte, Jean-François Lépine pour son humanité. Mais ce désistement du journaliste face au Beau nous coupe d’un fil conducteur dans la trame de l’histoire humaine qui ferait vibrer un sens plus profond du réel dans nos existences. Quand les faits ne sont que des faits et que personne ne prend la responsabilité de l’intention derrière l’information, le journalisme devient utilitariste. Il sert par défaut des intérêts… Alors la vérité et le mensonge n’ont plus de sens pour le lecteur. Il décroche.
Cher François Bugingo
Tu nous as tous séduits parce que tu comprends l’art du Beau. Ce pathos que tu oses porter rend ta personne attachante, ta nouvelle accessible, ton aura empreinte de sublime. Ton pathos œuvre comme il se doit : captiver l’attention du public. Nous t’avons cru, parce que tu as répondu à un besoin fondamental qui manque dans notre société : le Beau n’est pas accessoire dans l’information, c’est lui qui permet de connecter le Vrai et le Juste à notre vie humaine. C’est pourquoi nous t’aimons.
Nous transportant au-delà du cynisme, tu as réussi à faire le contrepoids de tous ces journalistes qui n’en finissent plus d’énoncer des faits, de faire parler les autres pour se décharger de leur propre impuissance à faire vibrer le Beau. Ta parole, François, résonne avec le sublime. Est-elle vraie ou fausse ? On fait confiance à ce qui est Beau. Entre toi et l’opinion d’un chroniqueur local, beaucoup te choisiront pour ton art de magnifier le réel. Tu nous fais rêver. De toute façon, quel est le rôle du journaliste dès lors que les dirigeants jouent aux chats et à la souris derrière paravents et paradis ? On ne peut pas changer le monde si on ne pointe que des travers sans jamais pouvoir accéder à la cause du mal. Et c’est le Beau qui nous conduit à cette source.
François, si tes histoires ont donné un sens à la nouvelle, aujourd’hui ton histoire nous pointe les limites du journalisme pragmatique : entre rapporter des faits et ne pouvoir prouver les intentions derrière ces faits s’infiltre le cynisme. Le public a besoin de résoudre des énigmes. Et seul l’équilibre entre le Beau, le Juste et le Vrai peut percer leurs secrets. On ne faisait pas confiance à Gil Courtemanche. On le lisait. On s’informait. On prenait conscience. Le journaliste nous faisait vibrer à une quête fondée sur du réel, l’être en tant que fil conducteur de toutes nos histoires. Nécessairement, il a fait avancer l’humanité au-delà de la propagande de vérités et de mensonges. Divin.
Aujourd’hui, François, ton histoire nous montre à quel point nous avons quitté notre quête existentielle pour atteindre l’illusion de la rigueur journalistique. Aujourd’hui, le journalisme se trahit en nous montrant ses failles : soit en privilégiant la recherche des faits, soit les sentiments des autres comme porteurs du message, soit la sublimation de la réalité. Et plus personne ne recherche l’équilibre entre les trois pour atteindre la raison divine, celle qui donnait un sens à notre vie humaine.
Alors, François, on a eu le goût de te suivre parce qu’il y a quelque chose de sublimé dans ta narration qui agit comme un baume sur nos âmes perdues dans l’opacité ambiante. Certes, Aristote te reprocherait que ta preuve a souffert de déséquilibre parce qu’un ingrédient a dominé dans ton discours. Mais dans l’ensemble du monde journalistique, tu as simplement comblé le déficit parmi tes collègues qui ont oublié que le Beau n’est jamais inutile.
Tout le monde te tendra la main
Si jamais le destin brisait ta plume de journaliste, je t’assure que tu devrais ne pas te cacher et plutôt assumer le grand romancier que tu peux devenir. Tu n’as volé à personne ton talent de narrer ni ton charisme. Et tu resteras dans nos cœurs.
J’espère qu’un éditeur te tendra la main pour que, tel un Gil Courtemanche, tu nous racontes la fiction de la réalité romanesque parfois plus vraie que la fiction racontée dans les journaux… Car une fois qu’on assume qu’on baigne dans l’illusion, il ne nous reste que deux possibles : nous raconter des histoires ou éveiller notre conscience . Si personne ne te tendait la main, ce dont je doute, saches que je te tends la mienne pour t’accueillir dans l’un ou l’autre des possibles.